Protection de l’enfance : un moment historique pour les communautés autochtones

Cour suprême du Canada (Photo par Julien Greschner)

La Cour suprême du Canada a rendu une décision unanime, marquant un tournant décisif pour la protection de l’enfance au sein des communautés autochtones. Dans un jugement historique, la Cour a rejeté l’appel du Québec et a accueilli celui du Canada, affirmant ainsi la constitutionnalité de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Contexte

La loi C-92, également connue sous le nom de Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, est une loi fédérale adoptée en 2019. Son objectif principal est de reconnaître et d’affirmer le droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale en matière de protection de l’enfance et de la famille. Cette loi vise à permettre aux communautés autochtones de reprendre en main la responsabilité de la protection de leurs enfants, en accordant une importance particulière à la préservation de leur culture, de leur langue et de leurs traditions. La loi reconnaît donc le droit des peuples autochtones à élaborer et à mettre en œuvre leurs propres lois et politiques en matière de protection de l’enfance, dans le but de favoriser le bien-être des enfants autochtones et de renforcer la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones au Canada.

Le gouvernement du Québec a contesté le projet de loi C-92 depuis son entrée en vigueur en 2020. Le Québec a remis en question la constitutionnalité de cette loi fédérale, argumentant qu’elle empiétait sur les compétences provinciales en matière de protection de l’enfance. Bien que la Cour d’appel du Québec ait initialement jugé la loi constitutionnelle, elle a également déclaré inconstitutionnels les articles 21, qui confère aux lois autochtones la force de loi fédérale, et 22 (3), qui stipule que la loi fédérale a préséance sur les lois provinciales dans ce domaine. Insatisfaites de cette décision, à la fois le Québec et le Canada ont porté l’affaire devant la Cour suprême du Canada.

Aujourd’hui, après 4 ans de tractations judiciaires, la Cour suprême juge que la loi fédérale contestée par le Québec est constitutionnelle et ne dépasse pas la sphère législative du Parlement du Canada. La Cour reconnaît également l’importance de cette loi dans le processus de réconciliation et dans la protection des enfants autochtones. Elle encourage la collaboration entre les peuples autochtones et les instances gouvernementales pour élaborer des politiques qui favorisent le bien-être des enfants autochtones.

Réactions des chefs autochtones

Cette victoire a été saluée comme un « moment historique » par de nombreux chefs autochtones. Ils voient dans cette décision tant attendue un nouveau chapitre pour les enfants autochtones, désignés comme les « grands gagnants ». Cindy Woodhouse Nepinak, cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations (APN), a souligné que cette décision représente une avancée importante :

« Il s’agit d’un pas important vers l’avant. Les Premières Nations n’ont jamais renoncé à leur compétence sur leurs enfants et leurs familles, qui existe depuis des temps immémoriaux. Les Premières Nations conservent le droit inhérent et constitutionnel de s’occuper de leurs enfants et de leurs familles, ainsi que le droit sacré que leur a conféré le créateur d’élever leurs enfants dans le respect de leur culture, de leur langue et de leurs traditions. »  Cindy Woodhouse Nepinak, cheffe de l’APN

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), a également souligné que les Premières Nations n’ont jamais renoncé à leurs droits et compétences. Il a invité le gouvernement du Québec à reconnaître et respecter cette compétence, ouvrant ainsi la voie à une collaboration sincère et respectueuse dans l’application des lois autochtones.

« Nous avançons maintenant l’écriture d’une nouvelle page de notre histoire et nous demandons au gouvernement du Québec de s’impliquer activement, mais surtout sincèrement et respectueusement dans l’application des lois que les Premières Nations choisiront de développer, d’adopter et de mettre en œuvre. Que le travail de co-développement, de co-construction et de collaboration commence aujourd’hui. » Ghislain Picard, chef de l’APNQL.

Réactions des gouvernements

Justin Trudeau a accueilli la décision avec grande joie, soulignant son importance pour la réconciliation. Il a réaffirmé l’engagement de son gouvernement à travailler en partenariat avec les communautés autochtones pour offrir des soins et des services qui soutiennent les jeunes dans leur communauté.

« Pendant trop longtemps, les enfants à risque ont été enlevés de leur communauté, envoyés loin de leur langue, loin de leur culture. Ça a eu des échos et des impacts sur des décennies de perte d’identité et de culture. Donc, avec C-92, on a su créer des partenariats pour livrer des soins et des services pour appuyer les jeunes dans leur communauté. On va continuer de faire ce travail, parce que c’est un élément essentiel de la réconciliation. » Justin Trudeau, premier ministre du Canada

La réaction du gouvernement du Québec a été plus mesurée. Bien qu’il ait pris acte du jugement de la Cour suprême, il a tenu à souligner que son désaccord était plutôt avec le gouvernement fédéral et non pas avec les Premières Nations et les Inuits. Québec dit être d’accord avec l’objectif de favoriser l’exercice, par les Premières Nations et les Inuits, d’une plus grande autonomie en matière de protection de la jeunesse, mais réitère que, selon lui, le gouvernement fédéral se doit de travailler avec le Québec plutôt que d’agir unilatéralement.

Réactions à Nutashkuan

Du côté de la communauté innue de Nutashkuan, qui avait fait part de son intention d’exercer sa compétence en matière de services à l’enfance et à la famille lorsque la loi fédérale était entrée en vigueur, le conseil célèbre cette décision de la Cour suprême. Un jugement qui était très attendu et qui reconnaît finalement le droit à l’autodétermination des Premières Nations en matière de protection de l’enfance. Le chef du conseil, Réal Tettaut, se réjouit du jugement annoncé : « On est très content du jugement qu’on a eu aujourd’hui. On est très fier. En plus, c’est un jugement unanime. C’est une très belle nouvelle. »

Rejointe par téléphone à Québec, Annette Malec, ancienne directrice du Centre de Santé Tshukuminu Kanani qui a dirigé pendant de nombreuses années les efforts de la communauté pour avoir l’autodétermination dans le dossier de la protection de la jeunesse, se réjouit également du jugement qui a été rendu par la Cour suprême :

« Le système actuel ne répond pas à notre culture, ça fait longtemps qu’on travaille pour avoir notre propre protection de la jeunesse. Ce que j’ai entendu aujourd’hui, c’est une très belle nouvelle pour les communautés autochtones et pour la communauté de Nutashkuan. J’avais une fierté qui est venue me chercher. Je me suis dit bon enfin! Enfin, il y a une compréhension, il y a une collaboration. C’est vraiment une joie, c’est une grosse réussite pour la communauté. »

Dans l’ensemble, la décision de la Cour suprême ouvre la voie à une collaboration renouvelée entre les gouvernements autochtones et non autochtones pour assurer le bien-être des enfants autochtones. C’est un pas important vers la réconciliation et la reconnaissance des droits des peuples autochtones à prendre soin de leurs enfants dans le respect de leur culture et de leurs traditions.

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