Depuis deux décennies, Wapikoni joue un rôle clé dans la valorisation des voix des Premières Nations par le biais de la création audiovisuelle. Retour sur un organisme transformateur et sur son impact à Nutashkuan.
Wapikoni célèbre cette année ses 20 ans d’engagement auprès des Premières Nations. L’organisme a pour mission de contribuer au développement personnel, créatif et professionnel des membres des communautés autochtones et à l’affirmation des communautés par le biais de la création audiovisuelle.
Une histoire née d’un rêve et d’un hommage
Le projet Wapikoni a vu le jour sous l’initiative de la réalisatrice Manon Barbeau, marquée par le décès tragique de Wapikoni Awashish, une jeune Atikamekw inspirante de Wemotaci. Ce studio mobile, qui porte son nom, a été conçu comme un lieu de rassemblement, de création et d’intervention pour les jeunes des Premières Nations. Cofondé en 2003 par Manon Barbeau, le Conseil de la Nation Atikamekw et le Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador, avec le soutien de l’Assemblée des Premières Nations et la collaboration de l’Office national du film du Canada, le lancement du Wapikoni mobile a eu lieu en 2004 dans le cadre du festival Présence autochtone à Montréal. Depuis, l’organisme parcourt les communautés autochtones pour offrir des ateliers sur la réalisation de courts métrages et la création musicale. À chacune de ses escales, des cinéastes-accompagnateurs accueillent les participants et les forment à toutes les étapes de la réalisation.
Un impact marquant à Nutashkuan
Depuis sa première visite en 2009, le Wapikoni Mobile a marqué la communauté innue de Nutashkuan. En dix passages, plus de 200 participants ont pris part aux ateliers, produisant un total de 56 œuvres. Ces œuvres reflètent des histoires personnelles et des récits communautaires, servant de puissants moyens d’expression et de partage culturel.
Pour Jani Bellefleur-Kaltush, participante de la première édition en 2009 et de plusieurs autres par la suite, l’expérience a été une révélation :
« Moi, je ne voulais pas faire de film. Je venais d’abandonner mes études au cégep, je ne savais pas quoi faire de ma vie, j’étais perdue. Ils m’ont encouragée. Pendant deux, trois jours, ils m’ont dit : “allez, fait un film… on va t’apprendre”. Maintenant, je vois ça comme vraiment accessible. Tout le monde peut faire des films. »
Les ateliers de Wapikoni permettent non seulement de développer des compétences techniques, mais aussi de renforcer la confiance en soi et de nourrir un sentiment d’appartenance. Les films peuvent également avoir une portée internationale, alors qu’ils sont régulièrement présentés dans divers festivals et évènements. C’est lorsqu’elle a réalisé la portée de ce qu’elle avait créé que Jani a décidé de continuer de travailler avec Wapikoni :
« Deux ans après mon premier Wapikoni, j’ai rencontré un formateur qui avait présenté mon film dans un petit village dans la jungle au fin fond de la Bolivie. Il m’avait dit que j’avais fait pleurer une fille qui vivait exactement la même situation que je vivais et que je racontais dans mon documentaire. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé “Ok, je peux faire des films. Je pense que je vais continuer.” J’ai refait une autre escale et j’ai continué à travailler avec eux ensuite. J’ai fait tous les échelons à Wapikoni. J’ai été coordonnatrice, assistante cinéaste, cinéaste mentore. J’ai aussi travaillé dans le bureau de l’organisme. Depuis deux ans, je suis membre du conseil d’administration. Ça fait quinze ans maintenant que j’ai une histoire avec Wapikoni. »
Jani n’est pas la seule à avoir une histoire à partager sur l’impact que Wapikoni a eu dans sa vie. Depuis qu’elle travaille avec l’organisme, elle a pu voir « à plusieurs reprises comment ça aide beaucoup les jeunes ». Elle a aussi vu plusieurs participants développer des carrières d’artistes :
« Ça a commencé juste avec des petits documentaires, mais il y a beaucoup de participants qui ont évolué dans le domaine de la musique, il y en a qui sont devenus artistes, il y en a qui sont devenus écrivains, il y en a qui sont devenus cinéastes. C’est vraiment impressionnant de voir le parcours de certains artistes qui ont commencé avec la Wapikoni. »
Le programme était originalement pour les 18-35 ans, mais depuis quelques années il est ouvert à tous les membres des communautés autochtones. À Nutashkuan, les courts-métrages produits par les jeunes de la communauté ont aussi beaucoup servi à mettre en valeur la culture et à transmettre certaines activités traditionnelles. « À Nutashkuan, il y avait beaucoup d’intérêt à enregistrer les aînés. On pouvait les filmer, filmer la culture, les traditions, l’artisanat, toutes des choses qu’on peut garder comme un souvenir. » explique l’ancienne participante.
Une aventure qui continue
À Nutashkuan comme ailleurs, Wapikoni a laissé une empreinte durable. Comme l’explique Jani Bellefleur-Kaltush:
« Wapikoni a fait sa place dans les communautés. Maintenant, toutes les communautés connaissent Wapikoni. C’est une bibliothèque qui se construit, une bibliothèque numérique et audiovisuelle. Je pense que Wapikoni, c’est fait pour rester. C’est devenu une marque solide. »
Avec 56 œuvres produites localement, l’organisme a non seulement permis aux Innus de Nutashkuan de partager leurs récits, mais aussi de bâtir des ponts entre les cultures. Alors que Wapikoni entame sa troisième décennie, ses ateliers continuent d’inspirer et de transformer les communautés autochtones. Jani invite donc tous ceux et celles qui en auraient envie de tenter l’expérience Wapikoni :
« C’est une expérience à faire au moins une fois dans sa vie. Tu peux expérimenter quelque chose de nouveau et comprendre comment ça marche un film. C’est beaucoup de travail en quatre semaines, mais c’est vraiment le fun. Et pour la nouvelle génération, je sais qu’il y a encore des petites étoiles qui traînent, qui sont un peu éparpillées, qui ne veulent pas se montrer, mais qui ont du talent. Il faut juste qu’ils le laissent sortir. »