Quel sera l’impact de la mise en application de la loi C-92 pour la communauté innue de Nutashkuan et pour la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ)?
Le jugement de la Cour Suprême du Canada sur la loi C-92 qui reconnaît le droit des Premières Nations à l’autodétermination dans le domaine de la protection de la jeunesse veut-il dire la fin de la présence de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) sur la communauté de Nutashkuan? À long terme, c’est une possibilité, mais dans un futur proche le jugement offre plutôt l’opportunité d’une collaboration nouvelle entre la DPJ et la Première Nation de Nutashkuan.
Il y a quelques années, le Conseil de Bande de Nutashkuan avait déjà entamé des démarches afin de créer un nouveau partenariat avec la DPJ. En attendant le jugement de la Cour Suprême du Canada, le gouvernement du Québec refusait de parler de la loi C-92 avec la communauté. Face au blocage du côté de Québec à reconnaître le droit à l’autodétermination des Premières Nations, les services sociaux de Nutashkuan avaient entrepris un processus de dialogue avec la DPJ afin de mettre en lumière les problèmes avec le système existant et de voir comment ce système pourrait mieux s’adapter à la réalité autochtone locale. Un plan d’action avait même été proposé en 2021 par les services sociaux de Nutashkuan, dirigé par Annette Malec à l’époque. Le plan proposait des mesures que la communauté souhaitait mettre en place pour mieux respecter la réalité culturelle de Nutashkuan. Les premières rencontres avec la DPJ avaient été difficiles. Les services sociaux de Nutashkuan ont donc décidé d’inviter, à l’automne 2021, la directrice de la DPJ Côte-Nord de l’époque, Marlène Gallagher, pour une visite. La directrice a accepté l’invitation et l’expérience a été positive pour les deux camps. Les échanges durant cette visite et le respect mutuel démontré par les deux parties ont permis de bâtir des ponts. Par la suite, une entente de relation mutuelle avec la DPJ a pu être signée en 2022. Cette entente vise la collaboration entre les deux parties avec l’objectif de graduellement transférer certaines responsabilités à la communauté innue. Par exemple, il y a maintenant deux évaluateurs sur place qui coordonnent leur travail avec la DPJ. Précédemment, les évaluateurs travaillaient depuis Sept-Îles.
Un travail de collaboration entre la DPJ et la communauté de Nutashkuan avait donc déjà été entamé avant le jugement de la Cour Suprême. La question est donc : quel sera l’impact du jugement de la Cour Suprême et de l’application de la loi C-92 sur la relation entre les deux parties? Le jugement de la Cour Suprême du Canada a le potentiel d’avoir des impacts tout autant sur la DPJ que sur les communautés autochtones du Québec. La loi C-92 reconnaît le droit à l’autodétermination aux peuples autochtones en matière de protection de la jeunesse, mais la loi comporte également des articles s’adressant aux systèmes de protection de la jeunesse actuellement en place au pays. Ce ne sont pas nécessairement toutes les Premières Nations qui décideront de se doter de leur propre loi, ainsi la loi C-92 comporte également des articles visant à adapter les systèmes existants dans les différentes provinces et territoires canadiens à la réalité autochtone. Ainsi, en plus de la reconnaissance de l’autonomie des nations autochtones, la loi C-92 a des implications importantes pour la DPJ. Voici quelques-unes des implications clés :
- Collaboration et coopération : La loi encourage la collaboration entre les gouvernements provinciaux et les gouvernements autochtones afin d’assurer la sécurité et le bien-être des enfants autochtones. Cela implique des mécanismes de coopération entre la DPJ et les autorités autochtones pour prendre des décisions concernant la prise en charge des enfants autochtones.
- Priorité au maintien des liens culturels : La loi met l’accent sur l’importance de préserver les liens culturels des enfants autochtones. Lorsque des mesures de protection de l’enfance doivent être prises, la loi stipule que les autorités doivent favoriser le maintien des liens familiaux et culturels des enfants, y compris leur langue, leur culture et leurs traditions.
- Recours aux entités autochtones pour la prise en charge des enfants : La loi autorise les autorités provinciales comme la DPJ à conclure des ententes avec les autorités autochtones pour la prise en charge des enfants autochtones. Cela signifie que les enfants autochtones doivent être placés dans des familles ou des communautés autochtones, lorsque c’est dans leur meilleur intérêt.
Ainsi, l’espoir derrière la loi C-92 est que la reconnaissance des droits ancestraux des Premières Nations permettra d’instaurer une nouvelle dynamique entre les gouvernements provinciaux et les Premières Nations du Canada. La loi encourage donc la collaboration entre les gouvernements provinciaux et les autorités autochtones pour assurer le bien-être des enfants autochtones tout en préservant leur culture et leurs liens familiaux. Dans le cas de Nutashkuan, ce jugement pourrait marquer le début d’une nouvelle ère de collaboration avec la DPJ qui pourrait s’appuyer sur les rapprochements déjà entamés dans les dernières années. Les prochaines années nous diront si le jugement de la Cour Suprême aura été un point tournant.