Madame Thérèse Déraps a passé toute sa vie à Aguanish, à l’exception de trois années au Havre-Saint-Pierre pour étude. Maintenant âgée de 86 ans, elle nous parle de sa vie dans son village.
JG : Bonjour Thérèse, merci de participer à notre série de portraits sur les gens d’Aguanish et de l’Île-Michon dans le cadre des festivités du 175e anniversaire du village. Commençons par le début, pourriez-vous me parler de votre jeunesse au village?
TD : On était 17 enfants. Ma mère a eu 17 enfants, mais elle a perdu trois garçons. Ça faisait 11 garçons et six filles. Ça faisait une grosse famille! Il y avait de la vie, beaucoup de vie. On n’avait pas chacun notre chambre, mais ça allait bien. Le plus vieux, c’était un gars. Après ça, ça a été deux filles, donc les deux plus vieille, elles aidaient ma mère. Moi, j’étais la quatorzième. Mes grandes sœurs ont fait beaucoup le rôle de mère parce que maman devait s’occuper du chaudron et de tout ça. Mon père avait un moulin à scie. C’était ici, en bas, tout près de la rivière, tout près du quai. Après ça, c’était à Pashashibou vers le deuxième pont. L’hiver, il s’en allait là à la semaine, des fois aux 15 jours avec les hommes pour bûcher. Puis au printemps, ils dravaient le bois.
L’école n’était pas loin. On restait au bord de la mer. On montait la côte du quai et c’était l’école. Il y avait une école du côté ouest, une école au centre et il y en avait une autre près de l’église. Quand les sœurs sont arrivées, elles ont centralisé tout ça.
Notre famille est à Aguanish depuis longtemps. Mon grand-père Déraps, il a traversé des Îles de la Madeleine en 1877 à l’âge de deux ans. Il avait deux ans et il a traversé dans une goélette. Il y avait un Bon Dieu pour eux autres. Ça traversait avec des ménages, des animaux, ils s’en venaient avec leur vie. Ce n’est pas des farces de partir des îles de la Madeleine, il y avait un fleuve à traverser.
JG : Parlez-moi de votre vie d’adulte au village.
TD : J’aurais aimé faire l’école ou faire une coiffeuse, mais du fait que maman avait besoin d’aide à la maison, je n’avais pas le choix de rester, il y avait trop d’ouvrage. J’ai fréquenté mon amour de jeunesse deux ans. Puis après ça, je me suis marié en 1958, on était trois mariages ce jour-là. En 1959, la famille a commencé. Elle a fini en 1969 et j’ai eu 10 enfants. Là-dessus, j’ai eu deux enfants la même année. J’en avais eu quatre avants. Après, j’ai eu les jumeaux, puis il y en a eu quatre après.
Quand je me suis marié, mon mari s’en allait travailler à Sept-Îles en dehors. Les premiers temps, il s’en allait au mois de mai jusqu’à septembre. Puis après ça, plus il prenait de la séniorité, plus longtemps qu’il était parti. L’année que le dernier est né, il est parti du mois de février et il est revenu au mois de décembre.
JG : C’était comment d’avoir à gérer la grande famille quand le mari est à l’extérieur?
TD : C’était du sport. Moi, j’ai été vraiment chanceuse. Du côté de ma famille à moi, j’étais la dernière. Je n’avais pas de secours de mes sœurs parce qu’elles avaient déjà des familles. Ils ne m’auraient pas laissé dans la misère, mais elles avaient leur propre défi. En revanche, du côté de mon mari, c’était des jeunes. On était voisin. J’étais dans le même terrain qu’eux autres et j’ai toujours eu une fille qui restait chez nous. Là-dessus, par exemple, j’avais une bonne belle famille.
JG : Votre mari, a-t-il toujours travaillé à l’extérieur?
TD : L’année que le dernier est né au mois de décembre. Après ça dans le printemps, il est retourné à Sept-Îles, puis à l’été, il a décidé d’arrêter. Il était tanné et moi aussi. Il s’est rapproché et il a travaillé au Havre-Saint-Pierre à la mine. Il a été à peu près deux ans au Havre. On avait parlé de déménager, parce qu’il trouvait ça dur puis moi aussi, mais ma belle-sœur vendait sa maison, puis on a décidé de l’acheter et de rester ici. Dans ce temps-là, le chantier du bois à Natashquan a ouvert. On a appris qu’il cherchait un chauffeur de tracteurs. Je lui ai dit : « c’est ton temps ». C’était le chantier du chemin Rexfor, il a travaillé au moins quatre ou cinq ans pour ça. Il était content et moi aussi. Après, ç’a été la pêche au crabe, il a pêché au crabe jusqu’à sa retraite à 65 ans. On trouvait ça le fun, quand il travaillait à Natashquan. Il était ici tous les soirs. Les enfants étaient contents aussi.
On avait un chalet aux petites rivières. Là, on a passé du beau temps. Après qu’Octave a pris sa retraite, on s’en allait là tout le long de l’été. C’est le plus beau temps de mon mariage que j’ai passé là, parce que dans ce temps-là, c’était nos petits enfants qui venaient. Ils aimaient ça. Ils étaient dans l’eau du matin au soir. De voir nos petits-enfants heureux, et bien, on était heureux. C’était le bon temps. Mon mari est décédé en 2015. On avait fêté notre 50e en 2008. On a été marié 57 ans.
JG : Si on parle de l’évolution du village, quand vous pensez à Aguanish avant et aujourd’hui, qu’est-ce qui vous frappe comme changement?
TD : Du côté ouest, il n’y avait pas beaucoup de maisons. À partir de l’école, il n’y avait plus de maisons. Puis l’école, c’était en haut de la côte. Le côté ouest s’est beaucoup plus développé. Puis on n’avait pas de pont. Le pont c’était gros, parce qu’avant ça on ne pouvait pas traverser facilement. L’église était du côté de l’est puis le dispensaire aussi. La garde malade était toujours du côté de l’est donc il fallait traverser. Il y avait juste le magasin qu’on avait de ce côté-ci, puis l’école. À part ça, on n’avait aucun service de ce bord-ci. On trouvait ça le fun quand la passerelle est arrivée, mais c’était énervant quand il ventait, ça brassait. C’était juste suspendu d’un bord à l’autre. Le premier pont qu’on a eu les deux machines ne se rencontraient pas. Ce n’était pas assez large, puis après ça ils en ont fait un en prévision de la route.
JG : Justement quand la route est arrivée, ça a dû changer le village?
TD : On a commencé à communiquer par Natashquan. Tout transigeait par le bateau. Après ça, la route s’est développée jusqu’à Baie-Johan-Beetz et elle a été complétée en 1996. Le village a beaucoup changé depuis. On s’en va quand on veut et on revient quand on veut. Nos enfants viennent plus souvent aussi. On voyage plus souvent et on se sent moins prisonnier. Mais avant ça, on était habitué à l’isolement. Il y avait beaucoup de vie dans ce temps-là. Il y avait beaucoup d’enfants, mais là il n’y a plus de relève. C’est ça qui est malheureux dans tous les villages. L’année que mes jumeaux ont rentrée à l’école en première année, ils étaient 31. Ils ont passé 200 élèves à l’école ici une année. Il y avait de la vie. C’est ça qu’on trouve aujourd’hui qui a changé beaucoup.
JG : Quand vous pensez à votre vie, qu’est-ce que représente Aguanish pour vous?
TD : Aguanish c’est mon coin de pays. C’est mes amours d’enfance, mes amours d’adulte, mes amours de famille, puis mes peines de famille aussi, mais je ne changerais pas mon coin de pays pour rien au monde.