Projet de havre de pêche à Natashquan : Une mobilisation qui dure depuis 35 ans pour Jean-Claude Landry

La visite de la ministre des Pêches de la fin de semaine dernière est un évènement symbolique lorsque l’on considère le long parcours de mobilisation entourant le projet d’un havre de pêche à Natashquan. Un accomplissement exceptionnel pour Jean-Claude Landry qui est président des associations et organismes qui militent pour la concrétisation du projet depuis ses tout débuts, il y a maintenant 35 ans. C’est un combat qui trouve ses racines dans les années 1980, suivi par une série d’événements qui ont jalonné cette longue quête.

Les débuts dans les années 80

En 1984, le quai actuel, construit par Transport Canada, est rebâti avec une durée de vie estimée à 25 ans. Il est conçu pour les caboteurs, laissant les pêcheurs dans une situation précaire. En l’absence d’installation pour la pêche, les pêcheurs utilisent le quai de Transport Canada pour amarrer leurs bateaux, mais ils sont tenus de quitter le quai lorsque les caboteurs viennent à quai. Cette situation est loin d’être idéale en plus d’être dangereuse pour les pêcheurs et leurs bateaux lors de tempêtes et de forts vents. Cette réalité pousse les pêcheurs de la région menée par Jean-Claude Landry, à l’époque président de l’association des pêcheurs côtiers de Natashquan et Aguanish, à entreprendre un combat pour un port de pêche dédié.

Une première demande officielle pour un port de pêche et une rampe de lancement à Natashquan est faite en mai 1989. Soutenue par le Regroupement des associations de pêcheurs de la haute et moyenne Côte-Nord et le député de l’époque, M. Charles A. Langlois, cette requête soulignait l’importance vitale de disposer d’infrastructures portuaires adéquates pour une communauté dont l’économie repose en grande partie sur la pêche. Dans sa lettre, M. Landry est clair : « Il est inconcevable de penser qu’en 1989, il puisse encore exister des régions comme Natashquan, où les pêcheurs travaillent dans des conditions dangereuses et sont livrés à eux-mêmes sans matériel adéquat pour faire leur débarquement et sans infrastructure portuaire. » Le dossier est transmis à la direction des ports pour petits bateaux du Ministère des Pêches et Océans (MPO). En juin, le MPO répond à la requête et indique qu’il effectuera une évaluation sur la faisabilité technique et financière du projet. Plusieurs mois passent et en décembre 1989, le MPO répond avec les résultats de l’étude du projet. Le MPO écrit : « nous nous voyons dans l’obligation d’inclure ces deux projets [havre de pêche et rampe de mise à l’eau] à notre programmation pluriannuelle en raison de notre faible disponibilité budgétaire présentement. Ils pourront être considérés ultérieurement, considérant les crédits financiers pour ce faire et les autres priorités régionales du moment. » C’est le début d’un long combat, aucun progrès significatif ne viendra dans les décennies suivantes malgré des demandes chaque année sur l’état du projet.

Corporation du port régional de Natashquan et financement d’études de projet

Les années ont passé, mais les obstacles se sont accumulés. Malgré les promesses de 1989 d’ajout du projet au programme pluriannuel de Pêches et Océans Canada, les réponses aux requêtes de Jean-Claude Landry ont souvent été accompagnées de déceptions. Les réponses du MPO repoussent continuellement le projet, évoquant des priorités budgétaires et des incertitudes sur l’avenir de l’industrie de la pêche.

En 2008, un nouvel organisme est créé, la Corporation du port régional de Natashquan (CPRN), avec pour mission la création d’un port de pêche. Les pêcheurs, les municipalités et la communauté de Nutashkuan s’unissent pour promouvoir le projet auprès du gouvernement. Le conseil d’administration est donc formé d’un membre de la municipalité de Natashquan, un membre de la municipalité d’Aguanish, deux membres de la communauté de Nutashkuan, et de pêcheurs de la région pour un total de 9 membres. Sous la présidence de Jean-Claude Landry, la corporation a multiplié les initiatives, malgré les réponses négatives récurrentes du MPO. En 2011, des lettres sont envoyées au bureau de Sept-Îles du MPO pour avoir un état de la situation du projet de havre de pêche à Natashquan. Une réponse négative est reçue une fois de plus, le MPO informe la CPRN qu’il ne peut pas contribuer au projet pour deux raisons. Tout d’abord, l’incertitude entourant la direction que prendra l’industrie de la pêche lorsque la route 138 sera ouverte jusqu’à Kegaska, et deuxièmement, les budgets disponibles et la priorité du projet qui ne permettent pas d’aller de l’avant avec le port de Natashquan présentement. La CPRN décide donc d’aller chercher des subventions pour financer ses propres études et démontrer au MPO la faisabilité économique du projet. En 2012, une première étude, réalisée par la firme Bison blanc, est déposée au bureau du MPO à Sept-Îles. On propose un projet de port de pêche avec visée touristique. À micro fermé, on informe M. Landry que les priorités pour les prochaines années visent la Basse-Côte-Nord. En 2014, le quai de Natashquan est rénové par Transport Canada pour prolonger sa vie de 8 à 10 ans. Aucune accommodation pour les pêcheurs n’est faite.

En 2016, quelques années après que la route 138 ait été prolongée jusqu’à Kegaska, la CPRN finance une deuxième étude de la firme Lemay Stratégies. Le projet est axé sur l’industrie de la pêche cette fois. Le dossier est envoyé au MPO qui répond vouloir attendre de voir les impacts du projet de revitalisation du havre de Kegaska avant de considérer le projet de Natashquan. L’initiative de 2016 avait été lancée en réponse à l’annonce d’un nouveau programme d’infrastructure fédérale du MPO. Cependant, dans leur lettre de réponse, le MPO indique que les projets qui seront financés par ce programme sont déjà identifiés et que tout nouveau projet devrait passer par le programme régulier du MPO dont le plan quinquennal se terminant en 2021-22 est déjà saturé. La même année, Transport Canada place le quai de Natashquan sur la liste du Programme de transfert des installations portuaires. Le MPO encourage la CPRN à entamer des démarches avec Transport Canada pour faire l’acquisition du quai, chose que la corporation n’a jamais envisagée, car le quai est en fin de vie et représenterait un gouffre financier pour n’importe quelle organisation qui se porterait acquéreur. Seul le gouvernement dispose des ressources financières nécessaires pour pouvoir maintenir le quai.

Plan de l’aménagement proposé par WSP Global

Jamais deux sans trois dite-on, et bien en 2020, la Corporation du port régional de Natashquan envoi une troisième étude au fédéral exécuté par la firme WSP Global (voir plan de l’aménagement proposé). Il s’agit de la mouture qui est actuellement promue auprès du gouvernement fédéral. Le dossier atterrit sur le bureau de la ministre de Pêches et Océans.

Un nouvel espoir

Le parcours de cette bataille pour un port de pêche n’a pas été sans espoir, mais il a suscité beaucoup de désespoir devant l’absence de reconnaissance de la part du gouvernement de l’importance du port de Natashquan. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 1995 et 2000, le quai de Natashquan se classait parmi les cinq premiers ports de la Côte-Nord et les quinze premiers du Québec en termes de débarquements et de valeur des prises. En 2019 et 2022, le port maintenait toujours sa position parmi les ports les plus importants de la région. La seule pièce manquante est un ou une ministre du MPO qui reconnaisse la priorité du projet. Alors que le projet semblait dans une impasse après toutes ces décennies de travail acharné sans résultat concret, une rencontre a lieu en décembre 2023 avec Alex Gagné, conseiller régional pour le Québec de la ministre de Pêches et Océans Canada. Aguanish, Natashquan et Nutashkuan sont tous unis pour faire valoir une nouvelle fois le projet du port de pêche aux représentants du MPO. On informe les représentants locaux que le projet est accepté au bureau du Québec et que le dossier est en train d’être travaillé. Cependant, le budget pour réaliser le projet est manquant, mais on assure la CPRN que le projet de Natashquan est prioritaire. On semble jouer dans le même film qui dure depuis 35 ans, mais en début d’année 2024, Jean-Claude Landry reçoit une lettre de l’honorable Diane Lebouthillier, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne. Dans sa lettre à M. Landry, la ministre écrit qu’elle espère pouvoir le rencontrer lors de sa prochaine visite dans la région afin de discuter de ses préoccupations concernant le port de pêche régional de Natashquan. Cette visite tant attendue aura finalement eu lieu samedi dernier, le 11 mai 2024. Lors de cette visite, la population de la région a pu entendre pour la première fois une ministre de Pêches et Océans exprimer son engagement envers le dossier de Natashquan. L’année 2024 représente donc un point tournant avec la visite historique de la ministre Lebouthillier. Sa rencontre avec les acteurs locaux, dont Jean-Claude Landry, a ravivé l’espoir d’une concrétisation prochaine du projet. Ce serait l’aboutissement de plus de 35 ans de mobilisation.

Jean-Claude Landry : La patience et la persévérance d’un pêcheur

Jean-Claude Landry

Jean-Claude Landry est à la base du projet depuis ses tout débuts il y a 35 ans. Un véritable parcours du combattant pour un pêcheur qui souhaite que les pêcheurs de la région puissent avoir les installations dont ils ont besoin afin de pouvoir effectuer leur travail de façon sécuritaire. « C’est dû pour Natashquan, et j’aimerais bien avant d’accrocher ma calotte que ça soit réalisé », déclare-t-il. À travers les décennies, la patience et la persévérance de Jean-Claude Landry, ainsi que l’engagement de la Corporation du port régional de Natashquan, ont été exemplaires. À travers les années, la Corporation du port régional de Natashquan a poursuivi ses démarches malgré les réponses négatives de Pêches et Océans Canada. Le dossier a été continuellement repoussé vers le futur pour des raisons qui changeait avec les années (attente des répercussions de la nouvelle route vers Kegaska, attente des répercussions du nouveau port de Kegaska, programme de transfert des quais de Transport Canada et finalement, on leur répétait sans cesse que le ministère des Pêches et Océans ne possédait aucune infrastructure à Natashquan), mais ils ont persévéré. La corporation a investi plus de 160 000 $ sur les 3 études qui ont été présentées au MPO. Ces études ont été financées par ses membres, ses partenaires et la société du Plan Nord. Leur combat pour un port de pêche représente bien plus qu’une simple infrastructure : c’est une affirmation de l’importance économique et culturelle de la pêche pour les communautés d’Aguanish, de l’Île-Michon, de Natashquan et de Nutashkuan. C’est un symbole de résilience et de détermination face à l’adversité.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *