Natashquan après 1 800 km en Deux Chevaux

Il était possible de voir dimanche et lundi avant-midi un bien singulier spectacle : quatre Citroën 2CV (prononcé « deux chevaux ») entre Natashquan et Havre-Saint-Pierre. En effet, l’équipage des quatre « Deuch » fait partie de « l’Expédition 51° en 2CV », qui parcourt un trajet de près de 2 400 km entre Baie-Comeau et… Baie-Comeau.

Olivier Savard, journaliste, Initiative de journalisme local

Un détail qui fait toute la différence : le trajet passe par la route 389 afin de grimper jusqu’à Goose Bay, au Labrador, avant de redescendre le long de la côte labradorienne jusqu’à Blanc-Sablon. La suite du voyage se déroule ensuite sur le Bella-Desgagnés, avant de retourner sur la route à partir de Kegaska. La dernière partie du trajet se déroule ensuite sur la 138, afin de monter à Baie-Comeau pour achever la portion nord-côtière du voyage et de retourner au sud, à Victoriaville, où les quatre voitures sont parties ensemble. Au total? Plus de 3 400 km en trois semaines, à bord de petites voitures françaises qui semblent toutes sauf conçues pour ce genre de trajet.

Ce serait cependant sous-estimer la Deux Chevaux, selon le propriétaire d’une des quatre voitures, Alain Grégoire. « Tout le monde nous disait qu’on était fous, qu’on allait briser nos voitures. Pourtant, on n’a eu qu’un seul petit problème mécanique durant le trajet, soit un fil électrique qui s’est déconnecté sur la route 389 en raison des vibrations. C’est fait pour ça », raconte l’homme, assis à l’ombre auprès de sa conjointe Nicole Sheinck, sur le patio de l’auberge Le Port d’Attache, à l’entrée de Natashquan. « Évidemment, j’ai amené l’équivalent d’une boîte entière en pièces de rechange, au cas où, mais c’est fiable et c’est mécaniquement très simple », continue-il. Il se lève et marche jusqu’à sa voiture, lève le capot, pointe différentes pièces et composantes du moteur. « Là, c’est la bobine d’allumage. Ici là, le carburateur, l’alternateur est là, tout est facile d’accès. Si jamais j’ai besoin d’avoir un meilleur accès, j’enlève ce boulon-là, celui-là, un autre et je peux enlever l’aile entière comme ça. »

Mme Sheinck ouvre la porte, propose de monter à l’intérieur. « Monte, si tu veux. C’est spécial, hein? » Le couple aime clairement sa « Deuch », une édition Charleston rouge et noir de 1987. « Ça fait huit ans qu’on a la voiture. Au début, je regardais les motos, on voulait une grosse moto, mais ça a fini que Nicole n’aimait pas vraiment ça, donc nous sommes passés aux décapotables. On regardait les Miata, les petits décapotables comme ça, mais Nicole a rajouté comme critère qu’elle voulait quatre places. Un décapotable quatre places, je te dis, y’a pas grand-chose. Je ne voulais pas une Mustang, ce n’est pas mon genre, pareil pour une Sebring, puis on a découvert quelqu’un qui avait une 2CV. C’est quatre places, et le toit en toile, quand c’est baissé, c’est comme si c’était un décapotable. »

Il y a également une petite histoire avec l’origine de la voiture : « Celui qui avait une 2CV était de France, il avait les contacts pour en importer, et la nôtre, c’était la voiture de sa mère. » Les trois autres équipages sont moins bavards un peu.

Une réplique de Charleston qui date de 1973, avec Freddy Pseuti et Bruce Grant comme passagers. Une 2CV crème type « fourgonnette » de 1976, conduite par Gabriel Aubertin et Gilles Pelcot. La dernière, une Deux Chevaux blanche de 1980, possédée par Gaétan Saint-Arnaud et Hélène Boulanger depuis près de vingt-cinq ans. « On se connaît grâce à la 2CV, cela fait quelques années qu’on est tous propriétaires d’un exemplaire, mais c’est notre première grosse expédition ensemble », affirme Alain Grégoire. « Nicole et moi sommes déjà allés à New York avec un autre groupe, nous étions une dizaine, et un journaliste de l’Automobile [note : revue française sur l’automobile] nous a actuellement suivi, il a écrit quelque chose sur ça il y a quelques années. Il était dans ma voiture dans la grosse photo double-pages », explique-il, une copie bien feuilletée de ladite revue à la main.

Deux des 2CV à l’auberge Le Port d’attache de Natashquan. De gauche à droite: la 2CV Charleston rouge et noire de 1987, et la 2CV fourgonnette crème de 1976. Photo: Olivier Savard

La réaction des gens est toujours semblable lorsque le groupe arrive à quelque part, les quatre françaises se suivant à la queue leu leu. « Ce n’est pas une voiture qui est particulièrement « remarquable », elle n’est pas performante ou rare, mais tout le monde l’aime! À chaque fois que nous nous arrêtons quelque part, les gens posent des questions; on a eu beaucoup de « vous êtes venus avec ça ?! » de gens au Labrador. Ils sont habitués à voir des pick-up, des VUS, mais pas à ça », s’amuse Alain Grégoire. « On fait monter les gens dedans, on peut leur faire faire un tour, par exemple », renchérit Nicole Sheinck. « Nous étions dans le coin de Saint-Lewis, nous nous étions arrêtés près de pêcheurs. Ils viennent nous poser des questions, évidemment, après on finit par repartir mais on rencontre la mairesse en sens inverse, elle nous a montré la pointe la plus à l’est du Labrador. Après, nous sommes passés devant une école, les jeunes étaient tous dehors à nous regarder donc on s’est arrêtés, ils ont tous capoté. La mairesse avait averti sa sœur qui travaillait à l’école de dire aux jeunes de regarder les drôles de voitures qui allaient passer dehors », continue-elle.

Leur opinion du voyage et des réactions suscitées par leur passage? « Supérieures à tout ce quoi on s’attendait », selon le couple, qui demeure à Brossard. « Il n’y a pas d’endroit qu’on a vraiment préféré, on ne peut pas vraiment dire quelque chose comme ça, mais le village de Red Bay était vraiment joli. » Sont-ils plusieurs à faire ce type de voyage en Deux Chevaux? « Je suis un de ceux qui roule le plus au Québec. En moyenne, je dois faire autour de 8 000 km par an, mais avec le voyage qu’on vient de faire, ça va être plus élevé cette année. Je sors la voiture le premier avril et je la range le trente-et-un novembre. Nous ne sommes pas des gens qui vont dans les expos, ce n’est pas vraiment notre genre de passer nos journées à s’asseoir derrière notre voiture et de dire aux gens de la regarder et de ne pas toucher. On fait monter les gens, on leur fait faire des tours, on répond à leurs questions, ça nous fait plaisir », termine Alain Grégoire.

Des plans pour l’année prochaine? « La Suisse! », s’exclame sa conjointe. « Il y a le mondial de la 2CV là-bas, on va y aller avec quelqu’un que nous connaissons, mais la voiture ne nous suivra pas. Trop cher. Il y a aussi l’idée dans le futur de parcourir l’ouest du pays, mais c’est encore au stade embryonnaire, il n’y a rien de défini », finit l’homme.

Le temps de quelques photos avec la « Charleston » et la fourgonnette, puis de finalement retrouver les deux autres « Deuch » qui étaient parties, leurs propriétaires visitant le village et la plage, et c’est le temps du souper. Une dernière photo, à côté de l’Échouerie, sans la fourgonnette, restée à l’auberge. Puis les aurevoirs. Départ prévu tôt le lundi matin, afin d’aller visiter les îles Mingan en bateau. Puis, retour à Baie-Comeau et finalement, à Victoriaville, le 16 septembre, où le groupe s’est réuni au début du voyage. Le son rustique du petit bicylindre à plat, « comme une Porsche », s’éloigne tranquillement.

L’expédition 51°

L’expédition 51° n’est pas un nom spécifique au voyage accompli par les 2CV, mais celui du circuit emprunté par ces dernières. Le trajet, une réalisation de divers partenaires – dont Tourisme-Côte-Nord – pour mettre en valeur le Labrador et la Côte-Nord, a vu le jour plutôt récemment, en 2018. Il débute à Baie-Comeau et monte jusqu’au Labrador pour se terminer à Blanc-Sablon, où il est ensuite possible de prendre le Bella-Desgagnés pour parcourir la Basse-Côte-Nord, ou encore de prendre le traversier pour continuer à Terre-Neuve.

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