175e d’Aguanish — Portrait de gens d’ici : Rachel Cormier Gallant

Rachel Cormier Gallant a vécu toute sa vie à Aguanish. Maintenant âgée de 92 ans et demi, elle nous raconte sa vie dans son village qu’elle aime tant.

Rachel Cormier Gallant (Photo par Paulette Gallant)

JG : Bonjour Rachel, merci d’avoir accepté de participer à notre série d’articles sur les gens d’Aguanish dans le cadre des festivités du 175e anniversaire du village. Pour commencer, pourriez-vous nous parler de votre jeunesse à Aguanish?

RCG : Ah, je me rappelle de bien des choses parce que j’ai passé ma vie de jeunesse à Aguanish. Je suis née à Aguanish et je suis la dernière d’une famille nombreuse. Dans mes temps libres, je jouais à la professeure. Je faisais l’école, je montais en haut des appartements et je me découpais des bonshommes. J’étais très jeune et je découpais des bonshommes pour faire mes élèves et je leur donnais des leçons de science, de catéchèse, etc. Je faisais l’école comme si j’étais née avec cette passion.

JG : Est-ce que cette passion s’est transposée dans votre vie d’adulte?

RCG : Avant de me marier, avant d’avoir ma famille, j’étais professeure. Je faisais l’école à l’île à Michon, qui était à 3 miles de nous autres. Il fallait que je pensionne là-bas. Que je mange et que je couche là-bas. Du dimanche soir jusqu’au vendredi soir, j’étais là-bas. Puis, le vendredi soir, je m’en venais chez nous pour la fin de semaine. J’arrivais avec mon paquet de travail pour préparer mon école pour le lundi. S’il y avait des cahiers à corriger, j’emmenais tout ça chez nous. J’allais passer la fin de semaine chez maman, papa était décédé à ce moment-là.

JG : Vous faisiez ce trajet-là à pied?

RCG : Oui, à pied souvent. Puis, je m’ambitionnais d’une fois à l’autre. C’était assez loin. Normalement, ça prenait une heure. Mais, il y a des fois que je faisais ça en 50 minutes, parce que j’étais craintive un peu des animaux qu’il y avait dans le chemin, les bœufs et les vaches. Ils n’étaient pas attachés. Les gens rencontraient des animaux et ils n’étaient pas de bonne humeur. Ça nous faisait peur. Alors, quand je voyais un grand bout de chemin en avant de moi où il n’y avait pas d’animaux, je courais pour que ça aille plus vite! (Rire)

J’ai fait l’école 6 ans à l’île à Michon. Puis, après ça quand je me suis marié, je suis allée à Franquelin. Ils avaient besoin de professeurs privés. Je suis allé dans une famille, où je faisais l’école à 3 enfants qui étaient trop loin de Franquelin. Je suis allée là parce qu’Antonio, mon mari, travaillait à Franquelin justement, au chargement des barges. C’est lui qui avait connu cette famille-là. C’était une famille de Natashquan. Alors, il m’avait demandé si je viendrais comme professeur privé, puis j’ai accepté. J’ai passé la première année là-bas et je suis tombée enceinte de ma première fille.

Après ça, je suis revenue à Aguanish. Antonio a été malade, je ne me souviens plus de quel genre de maladie, mais il n’a pas été capable d’aller travailler au chargement des barges, alors on a déménagé à Aguanish. On s’est bâti une maison, puis c’est là que j’ai eu mes enfants.

Comme j’étais tout le temps enceinte et que j’avais le mal de main en plus. J’ai dû sortir ma plus vieille de l’école au Havre-Saint-Pierre lorsqu’elle était en 7e année et l’amener chez nous. C’est elle qui m’a aidé à prendre soin de la famille jusqu’à temps qu’elle se marie. Une grosse famille, j’ai eu douze enfants. On était toutes des grosses familles dans ce temps-là.

JG : Élever une grande famille seule, ça devait être tout un défi?

RCG : Tout le temps, j’étais toute seule. Antonio, il devait aller gagner la vie. Il partait le printemps, il revenait pour les fêtes. Il passait l’hiver chez nous, mais du moment qu’il était demandé, dans le mois d’avril, il fallait qu’il s’en retourne. Il venait juste faire un tour. Avec les années, on s’habitue… Il y a eu une année qu’il était parti 11 mois. Il est revenu quatre jours, puis il est retourné. Donc quand il venait je tombais enceinte et quand il revenait, l’enfant était né. C’est comme ça que ça s’est passé et j’étais seule avec les enfants, mais les enfants étaient d’une grande aide. Aujourd’hui encore, une chance que j’ai mes enfants, ils sont une grande joie et un grand réconfort. Si je n’avais pas mes enfants aujourd’hui, je souffrirais. Ils sont en train de me rendre ce que je leur ai donné.

JG : Quand vous pensez à Aguanish avant et à Aguanish maintenant, qu’est-ce qui vous frappe quand vous pensez à l’évolution du village?

RCG : On se contentait de peu. Je me souviens qu’on n’a pas pu avoir l’électricité tout de suite, parce qu’Antonio n’était pas chez nous pour la faire installer. On ne l’avait pas eu. Lui il était parti au chantier, mais chez son frère, il y avait l’électricité.

Puis, il y a eu la route. On avait hâte que la route arrive, mais au passage, ça a changé beaucoup le village. Pour dire franchement, dans ce temps-là, on avait la tranquillité. On était tranquilles et on était tous ensemble les familles. Il y avait beaucoup d’entraide entre les gens du village. Chose qui existe peut-être un peu moins maintenant. C’était aussi très rare les gens qui sortaient à l’extérieur. C’était juste pour aller gagner leur vie, puis quand ils revenaient, ils restaient encore à la maison. Alors, le village se continuait de même.

Puis les écoles, il y avait trois écoles : une à l’Île-à-Michon, une du côté est du village, et l’autre du côté ouest. Et elles étaient toutes complètes! Elles avaient une vingtaine d’élèves chaque. Aujourd’hui, il n’y a plus d’école à Aguanish. C’est rendu qu’il n’y a plus d’enfants. Quand les gens du village reviennent avec leurs enfants, on ne connaît plus personne. À qui ces petits garçons-là? Puis à qui ces petites filles-là? On connaît les parents, mais on ne connaît plus les enfants. Quand j’étais jeune, tout le monde était ensemble. Aujourd’hui, les gens sont beaucoup à l’extérieur. C’était comme ça… On ne connaissait pas mieux. Donc, on se contentait de ce qu’on avait. Puis on était heureux avec. Peut-être plus que maintenant.

JG : Vous avez vécu ici toute votre vie, qu’est-ce que représente Aguanish pour vous?

RCG : Ah, ça représente beaucoup pour moi. Je n’ai jamais hésité à dire : « je m’en vais à Aguanish à vie », parce qu’en acceptant un enfant par année, il fallait que je reste par ici (Rire). Tout de suite, j’étais bien ici. On est privilégié parce qu’on a une très belle nature. Entre la mer, la forêt, le grand air, la tranquillité, tout le monde n’a pas une nature comme ça.Aguanish, je peux vous dire, si le Bon Dieu peut me faire la grâce d’y rester jusqu’à ma dernière journée de vie, j’y resterai parce que c’est mon pays natal et je l’aime. On a toujours un sentiment natal, où est-ce qu’on est né. Moi, je l’ai plus fort que d’autres. J’ai eu mes amours ici. C’est ici que je me suis marié, puis j’ai eu mes enfants, puis je suis encore ici pour mourir. Comment veux-tu que je laisse Aguanish?

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