Entre précarité et résilience : Le défi du transport dans l’est de la Minganie

L’approvisionnement en produits alimentaires et autres marchandises essentielles constitue un véritable défi pour les quelques épiceries situées dans l’est de la Minganie, au bout de la route 138. La région souffre du manque de services de transport fiables, une réalité qui pèse lourd sur les épaules des commerçants locaux.

Jusqu’à cette année, la compagnie Havre-Saint-Pierre Express, propriété de Manitoulin Transport, assurait la livraison jusqu’à Natashquan. Malgré des coûts de transport élevés, le service était relativement stable. Cependant, en raison d’un manque de personnel à son entrepôt, la compagnie a arrêté ses opérations à partir de Havre-Saint-Pierre, laissant les commerçants de la région dans une situation précaire. L’entrepôt le plus près de Manitoulin Transport est maintenant à Sept-Îles.

G.I. Transport, le seul transporteur routier de la région

Face au coût élevé de Manitoulin Transport, Marc-Antoine Ishpatao, propriétaire de l’épicerie Nutashkuan et du Dépanneur Chez Ti-Can à Pointe-Parent, a décidé de prendre les choses en main en créant sa propre compagnie de transport, G.I. Transport, en 2017. L’entrepreneur souhaitait par cette initiative réduire ses coûts de transports et avoir une meilleure fiabilité du service. La situation de transport dans la région aurait pu être bien pire si G.I. Transport n’avait pas été créé.

Avec l’arrêt du service de transport de Havre-Saint-Pierre Express, G.I. Transport est désormais la seule entreprise locale à offrir un service de transport réfrigéré dans la région. Ce service de transport est utilisé pour l’épicerie de Nutashkuan ainsi que le Dépanneur Chez Ti-Can, mais ils bénéficient aussi à d’autres commerçants de la région, comme la coopérative Les Choix de Marguerites qui a délaissé Manitoulin pour faire affaire avec G.I. il y a quelques années. Pour Sylvain Roy, membre du conseil d’administration de la coopérative de Baie-Johan-Beetz, faire affaire avec G.I. Transport pour leurs épiceries, fruits et légumes, laits et viandes leur a apporté plus de stabilité, des coûts de transport plus bas et leur a évité de gros tracas avec la situation actuelle de Manitoulin Transport. « On avait par chance fait le changement vers G.I. Transport, ce qui nous a aidés. Je suis content qu’on l’ait fait, sinon ça serait pas mal plus difficile présentement », explique-t-il. Cependant, il souligne que la situation reste complexe pour certains produits, notamment ceux transportés par le bateau Bella Desgagnés, comme les boissons gazeuses et la crème glacée. Pour ces produits, la coopérative doit arranger elle-même le transport du lieu de débarquement des marchandises jusqu’au commerce. La situation est similaire pour le Dépanneur Aguanus et le Marché Natashquan qui reçoivent certains produits de leur bannière et d’autres de G.I. Transport et du Bella Desgagnés. Les commerçants locaux doivent donc jongler avec de multiples sources de transport afin de réussir à obtenir tous les produits dont ils ont besoin.

Les produits congelés : Une logistique compliquée

L’approvisionnement en produit surgelé est particulièrement problématique, car il n’y a maintenant plus aucun transporteur routier pour ce type de produit. Victor Déraps, propriétaire du Dépanneur Aguanus, exprime son inquiétude : « Sans Havre-Saint-Pierre Express, je ne sais plus comment ça va marcher. Tous les produits congelés de la bannière Sobeys ne posent pas de problème, mais pour les crèmes glacées et certaines viandes, il n’y a plus de transporteur. » La situation est devenue si critique qu’il est parfois obligé de faire appel à des transporteurs de Sept-Îles, sans garantie que la livraison sera effectuée. Le Dépanneur Aguanus ainsi que le Marché Natashquan ont une bannière avec la compagnie Sobeys alors que la coopérative de Baie-Johan-Beetz et l’épicerie de Nutashkuan ont une bannière avec la compagnie Metro. Les produits de ces bannières sont généralement livrés par camion par celle-ci, c’est donc l’approvisionnement pour tous les autres produits qui causent des tracas au commerçant locaux.

G.I. Transport, qui se concentre actuellement sur le transport réfrigéré, envisage d’étendre ses services aux produits congelés dans un avenir proche afin de combler le vide. « On veut stabiliser notre stock de roulement avant, puis après se concentrer sur les autres choses pour créer une stabilité de transport dans la région », déclare Marc-Antoine Ishpatao. Dans l’intérim, seul le Bella Desgagnés est en mesure de livrer des produits surgelés. Le bateau est une option moins coûteuse, avec des tarifs de transport en général 60 % moins élevés que par la route. Toutefois, le bateau a des contraintes différentes. Le commerçant doit organiser lui-même son transport du quai jusqu’au commerce. Le service n’est pas toujours fiable, car le bateau doit parfois sauter le port de Natashquan en raison de la météo ou de retard dans l’horaire. De plus, les services du Bella Desgagnés ne sont pas disponibles l’hiver.

Les restrictions sur le pont Touzel : Un casse-tête supplémentaire

La situation est exacerbée par les restrictions de charge sur le pont Touzel, qui limitent les quantités d’essence livrées aux commerçants de la région. « Je demande 15 000 litres, on m’en donne 10 000. Tout le monde est limité, donc tout le monde commence à en manquer avant la prochaine livraison », déplore Victor Déraps. Cette contrainte entraîne des coûts supplémentaires pour les commerçants. Au Dépanneur Aguanus, cette réalité se traduit par une charge supplémentaire de 2 sous le litre à la pompe. Même son de cloche au Marché Natashquan, « j’ai manqué d’essence trois fois dans les trois dernières semaines. Pas longtemps, car la prochaine livraison était le lendemain, mais quand même, on devrait être capable d’avoir des réserves pour les services essentiels », explique Richard Beaudry, propriétaire du marché.

Un espoir pour l’avenir

Pour les commerçants de l’est de la Minganie, le transport reste un défi quotidien, avec des coûts supplémentaires et des efforts accrus pour maintenir un service de qualité à leurs clients. « Ce n’est pas évident. Tout le monde essaie de trouver des solutions pour arrêter de monter les prix », partage Richard Beaudry. La situation complexe de l’approvisionnement dans l’est de la Minganie met en lumière les défis auxquels font face les commerçants locaux, notamment en raison du manque de transporteurs fiables et des restrictions sur le pont Touzel. Malgré ces obstacles, des initiatives comme G.I. Transport apportent des solutions pour stabiliser l’approvisionnement en produits essentiels. Cependant, des efforts supplémentaires seront nécessaires pour assurer un service de transport durable et complet dans notre région isolée. L’ouverture d’un nouveau tronçon de la route 138 jusqu’aux communautés de La Romaine et d’Unamen Shipu dans les prochaines années devrait apporter certains changements pour le transport routier dans la région en ajoutant un volume d’environ 1300 nouveaux consommateurs sur la route à l’est de Havre-Saint-Pierre.

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