Port de pêche à Natashquan : le projet est toujours dans l’impasse

L’heure n’est plus à la patience pour la Corporation du port régional de Natashquan : près de dix ans après sa première demande officielle pour un havre de pêche, son président Jean-Claude Landry exige que le gouvernement fédéral fasse avancer le dossier.

« C’est une bataille après un mur. Ça prend une patience de pêcheur pour gérer ça », lance sur un ton rieur M. Landry, qui reproche au ministère de Pêches et Océans Canada (MPO) et à Transports Canada de se relancer la balle sans arriver à décider quoi faire avec le quai de Natashquan ou à se positionner sur le projet de port de pêche.

« Quand il fait tempête et qu’on passe les nuits sur le quai à nous demander si le bateau ne va pas embarquer sur le quai ou s’il ne va pas se défaire sur le quai, c’est invivable », peste Jean-Claude Landry.

La situation déplaît aussi à Gilbert Monger, vice-président de l’Association des pêcheurs de Tête-à-la-Baleine, qui constate l’inadéquation de l’installation. « Ça fait une bonne dizaine d’années qu’on vit ces conséquences-là. Mon bateau a eu tout un côté arraché », raconte-t-il au téléphone. « Ce sont des coûts qui reviennent souvent. »


Les dommages sont courants sur les bateaux de pêcheurs qui viennent s’attacher au quai de Natashquan lorsque les vents sont forts.

Parmi la flotte d’une vingtaine d’embarcations qui utilisent l’infrastructure fédérale, dont près de la moitié proviennent de la Basse-Côte-Nord, certains ont même dû quitter le quai lors de tempêtes pour aller s’amarrer plus loin pour éviter des dommages trop importants.

« Ce n’est pas un quai qui a été pensé pour les pêcheurs », résume Jean-Claude Landry. C’est pour cette raison que la Corporation du port de Natashquan réclame un havre de pêche comprenant un quai fixe avec 20 postes d’amarrage, une rampe de mise à l’eau pour petites embarcations, un stationnement qui pourra se transformer en aire d’hivernage et un brise-lames.


La construction du port de pêche, selon les plans d’aménagement de WSP Global, coûterait 17,8 M $. (Photo : WSP Global)

La construction de ce port s’élèverait à 17,8 millions de dollars, selon les estimations de la firme d’ingénierie WSP Global. Le coût pourrait être revu à la baisse si le quai fixe était supprimé du projet et que le quai fédéral existant continuait d’être utilisé pour les débarquements, une option viable pour Jean-Claude Landry, sous certaines conditions. « Si le MPO dit que le quai est encore utilisable et qu’ils nous accordent un havre de pêche, on n’est pas contre. On ne veut juste pas prendre la responsabilité du quai. »

Quoi faire avec le quai?

L’avenir du quai de Natashquan constitue le nerf de la guerre du dossier. D’un côté, Transports Canada veut en faire la cession depuis 2016 via le Programme de transfert des installations portuaires. Cependant, ni la municipalité, ni le Conseil de bande de la communauté innue de Nutashkuan, ni la Corporation du port régional ne veut l’acquérir.

« C’est beaucoup trop demandé pour un petit organisme comme le nôtre ou pour la municipalité », est d’avis Jean-Claude Landry. « C’est de la juridiction du MPO de fournir aux pêcheurs, dans les ports essentiels, les infrastructures sécuritaires et adéquates à l’industrie locale. »

De l’autre côté, le ministère Pêches et Océans refuse de se prononcer sur le quai puisque ce dernier appartient à son homologue des Transports. Le MPO ne peut donc pas déclarer les installations de Natashquan comme port « essentiel », ce faisant ne peut l’inclure dans son Programme des ports pour petits bateaux. Pour M. Landry, l’explication du MOP ne fait pas sens. « Il y a une flotte de pêche et des statistiques de leur ministère, ça ne vient pas du ciel! »

Les statistiques de Pêches et Océans Canada montrent que le port de Natashquan est le 4e en importance de valeur de débarquement sur la Côte-Nord, et le 15e au Québec.

Devant ces statistiques, M. Landry s’explique mal que les instances gouvernementales ne voient pas l’urgence de la création d’un havre de pêche, surtout que le quai de Transports Canada est jugé en fin de vie utile. Il craint que la flotte de bateaux qui fréquente le quai de Natashquan se redirige vers le port de Kegaska, à une cinquantaine de kilomètres par le route. « C’est impossible, comme alternative », croit celui qui a pêché le crabe pendant 43 ans. « Le havre de Kegaska est fait trop petit, ils sont déjà loadés. »

Gilbert Monger, de l’Association des pêcheurs de Tête-à-la-Baleine, refuse aussi de considérer cette option pour ses pêcheurs. « Il n’y a pas assez de place pour les bateaux qui y vont déjà. Je ne sais pas où ils pourraient mettre 4-5 bateaux de plus », fait-il valoir, ajoutant qu’un trop grand nombre de bateaux augmente le temps de débarquement des prises, ce qui pourrait avoir un impact sur les produits qui sont acheminés par la route.

Pour garder la soixantaine d’emplois directs créés par les activités de pêche et la flotte de bateaux à Natashquan, la corporation ne met pas longtemps à choisir entre la rénovation d’un « quai désuet » « qu’il faudra refaire à tous les 25 ans » ou la construction d’un port de pêche. « Les fonctionnaires ne savent pas ce que c’est la vie sur la côte, l’importance de la pêche pour chaque localité », critique Jean-Claude Landry.


Les statistiques de Pêches et Océans Canada montrent que le port de Natashquan est le 4e en importance de valeur de débarquement sur la Côte-Nord, et le 15e au Québec. (LDH)

La communauté innue, qui compte entre autres sur l’industrie de la pêche pour vitaliser Nutashkuan et son projet d’usine de transformation de fruits de mer, estimé à 10 millions de dollars, appuie l’initiative de la corporation.

« C’est un coin de pays qui a toujours été reconnu pour la pêche, c’est la raison pour laquelle nos ancêtres sont partis des Îles-de-la-Madeleine pour venir ici essayer de gagner leur vie, insiste M. Landry. Malgré tout ça, on a une sacrée misère à se faire entendre. »

Le manque d’avancement reproché au fédéral

Selon les plus récents développements, Pêches et Océans Canada discutait avec Transport Canada pour l’acquisition du quai de Natashquan. Or, la corporation n’a pas été contactée depuis mai 2019 par l’un ou l’autre des ministères pour signifier ce qu’il en était.

L’absence d’avancement dans le dossier inquiète la mairesse de Natashquan, Marie-Claude Vigneault. « J’ai l’impression que les ministères se relancent la balle. Si, éventuellement, le quai commençait à se détériorer, il faut que nos pêcheurs puissent continuer à pêcher [ici] et débarquer leurs produits ici », appuie-t-elle, soulignant que les prises sont déjà transformées et vendues à l’extérieur du village. « On n’est pas très gagnants si on ne peut plus débarquer ici. »

Pour le préfet de la municipalité régionale de comté (MRC) de Minganie, Luc Noël, pas question de laisser tomber le projet de port de pêche. « C’est une vitalité économique importante pour la région, et pour Natashquan et Nutashkuan, c’est bien clair dans notre tête. » Il qualifie d’« insultant » le fait que le projet n’ait pas encore été bouclé. « Ce n’est pas le seul dossier qui traîne comme ça en région, on a juste à penser à l’affaire de Pointe-Parent. Le gouvernement se traîne les pieds sur des dossiers régionaux parce que ça ne lui fait pas beaucoup de publicité et n’a que peu d’importance au niveau politique », dénonce-t-il.

La députée bloquiste de Manicouagan, Marilène Gill, blâme un manque de volonté politique. « Je ne veux pas mettre des mots dans la bouche ou prêter de mauvaises intentions [à quiconque], mais vient un moment où tous les arguments ont été mis sur la table. Si la meilleure des volontés est là mais qu’il n’y a rien qui bouge, c’est parce qu’il n’y a pas de volonté politique d’un côté. » En tant que vice-présidente du Comité permanant des pêches et des océans, elle compte interpeller ses collègues. « Si on travaille de tous les côtés, on espère que ça va accélérer la cadence et qu’on va avoir des réponses », souhaite-t-elle. « Dix ans, c’est plus que long pour des infrastructures. »

Jean-Claude Landry, lui, ne compte pas lâcher pas le morceau. « Faut pas être brillant pour penser qu’à Natashquan, d’où sont parties les plus belles chansons sur la pêche, on va laisser partir une flotte de bateaux vers un autre village… »

Transports Canada et Pêches et Océans Canada ont refusé nos demandes d’entrevue en indiquant les discussions entre les deux ministères en étaient au stade exploratoire.


Laurence Dami-Houle | Initiative de journalisme local

Bachelière du programme de journalisme de l'Université du Québec à Montréal. Amoureuse des mots, bibliophile et cinéphile. Intéressée par les enjeux culturels, l'environnement et la politique.

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